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Traditionnellement, les infractions de nature sexuelle ont été pensées pour défendre les bonnes mœurs, un ordre moral érigé en ordre légal avec prolongement pénal. Jadis, la loi punissait les comportements considérés comme déviants de la “normalité”, notamment l’homosexualité. L’évolution des mœurs a eu raison de cet ordre moral et l’a renversé. Le droit a dû s’adapter à cette évolution sociale.

 Aujourd’hui, le Code Pénal envisage le viol, les agressions sexuelles (autre que le viol), l’exhibition et le harcèlement sexuel. Nous nous intéresserons, ici, seulement au crime de viol dont la prescription est, depuis la loi du 06 août 2018, de 20 ans. Ce délai peut aller jusqu’à 30 ans pour les viols ayant été commis sur des mineurs avec pour point de départ la date de majorité de la victime.

L’infraction est incriminée à l’article 222-23 du Code Pénal.

I/ Comment se caractérise le viol ? 

Le viol suppose une condition préalable fondamentale, l’absence de consentement libre et éclairé de la victime.
Cette condition s’apprécie à la date de l’acte. Un consentement antérieur ou postérieur est sans incidence, car seul compte le consentement au moment précis de l’acte.

Ensuite, la caractérisation du viol nécessite une intention de l’auteur de commettre l’infraction (élément moral de l’infraction) ainsi qu’une atteinte sexuelle et un acte de violence/contrainte/menace ou de surprise développé ci-dessous (élément matériel de l’infraction).

Le législateur a défini un modèle d’incrimination commun à la catégorie d’agressions sexuelles vue en son sens générique. Le viol se singularisant seulement par la nécessaire pénétration sexuelle.

Il faut donc un acte de violence/contrainte/menace/surprise et une atteinte sexuelle : 

→ La violence s’entend par tout comportement qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime.

→ La contrainte est retenue lorsqu’un comportement a fait pression sur la victime pour obtenir la relation sexuelle. Elle peut être physique ou morale et n’a pas à être insurmontable. Sur ce point, la loi du 03 août 2018 est venue modifier l’article 222-22-1 du Code Pénal. Grâce au nouvel alinéa 2, le juge peut déduire la contrainte morale de la différence d’âge entre l’auteur du viol et la victime ou de l’autorité qu’aurait l’auteur du viol sur la victime. De plus, l’alinéa 3 du même article dispose que « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.». L’âge de la victime peut donc désormais constituer, avec une atteinte sexuelle, l’élément matériel du viol. 

→ La menace est caractérisée par une promesse de représailles par l’auteur pour exercer une contrainte sexuelle sur sa victime.

→ Enfin, la surprise suppose la tromperie pour abuser la victime et surprendre son consentement, c’est-à-dire l’obtenir sur la base d’une apparence fausse. Par exemple, dans un arrêt en date du 23 janvier 2019, la Cour de cassation a retenu la surprise en raison d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle.

En l’espèce, il était question d’un homme de 68 ans qui s’était fait passer pour un jeune architecte au profil athlétique. Lui et la victime avaient convenu que cette dernière se rendrait chez l’homme, les yeux bandés, pour avoir une relation sexuelle.

 C’est ainsi qu’elle s’est aperçue après la relation sexuelle consommée, en enlevant le bandeau, que l’homme ne correspondait en rien au profil du site sur lequel elle l’avait rencontré. La Cour d’appel avait considéré que la surprise ne pouvait être caractérisée par un sentiment d’étonnement, si important soit-il, lors de la découverte de la réalité du physique de l’homme.

 Les juges de la Cour d’appel refusaient donc de donner un sens plus large à la notion de surprise. Un pourvoi en cassation par les victimes (l’homme étant un adepte de ce stratagème) est alors formé. La Cour de cassation donne raison aux victimes et casse l’arrêt de la Cour d’appel. La Cour reconnaît le viol par surprise en raison de l’acte de pénétration sexuelle effectué par un homme à l’aide d’un stratagème visant à tromper la victime sur son identité civile et physique.

→ Par ailleurs, une atteinte sexuelle est évidemment nécessaire. Cependant, la loi ne la définit pas. Cette absence de précision a un sens qui est d’envisager l’atteinte le plus largement possible. Ainsi, tout acte d’agression sexuelle est une atteinte sexuelle.

 

Si l’on s’arrêtait là, on parlerait uniquement d’agression sexuelle. Le viol se distingue en ce que l’atteinte sexuelle consiste en un acte de pénétration sexuelle.

Après plusieurs revirements de jurisprudence, la Cour de cassation a finalement considéré que l’acte de pénétration pouvait être exercé sur la personne auteur du viol. La loi du 03 août 2018 a ainsi modifié l’article 222-23 du Code Pénal qui dispose désormais en son premier alinéa que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.».

Attention, suite à la polémique que l’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2020 a suscité, il semble important de préciser que la Haute juridiction n’observe pas un seuil d’intensité nécessaire de pénétration. Il n’y a pas de pénétration suffisante ou non pour caractériser le viol. 

En l’espèce, la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel car elle considère qu’en vertu du principe de présomption d’innocence, c’était à la partie civile qu’incombait la charge de la preuve de la pénétration qu’elle dénonçait. En l’espèce, les déclarations de la victime étaient contradictoires, la seule information dont disposait la Cour d’appel était qu’un cunnilingus avait été réalisé, sans savoir si la langue du prévenu avait effectivement dépassé l’entrée du vagin de la plaignante et auquel cas, si cet acte avait été commis de manière délibérée (la volonté de l’auteur du viol / de l’agression sexuelle, caractérise l’élément moral nécessaire à la qualification de l’infraction).

Dès lors, cette incertitude menait à une difficile reconnaissance de la qualification de viol, à l’inverse de l’agression sexuelle aggravée qui avait ici plus de chances d’aboutir (les articles 222-29-1 et 222- 30 du Code Pénal prévoient une peine de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour cette infraction).

II/ Une évolution constante du champ d’application de l’infraction de viol

La jurisprudence témoigne de l’évolution constante de la reconnaissance du viol.

Tout d’abord, il apparaît inévitable de mentionner l’affaire Tonglet Castellano du 03 mai 1978, portée notamment par l’illustre avocate Gisèle Halimi. À cette époque, le viol n’était pas défini et un grand nombre d’affaires concernées étaient jugées en correctionnel. L’abnégation des avocats en présence l’a emporté et ces derniers ont réussi, pour la première fois, à ce qu’une affaire de viol soit jugée aux assises.
La décision rendue par la Cour d’assises d’Aix-en-Provence a ainsi permis de soulever un nécessaire débat en ce sens et a conduit à l’adoption de la loi du 23 décembre 1980 sanctionnant le viol d’une peine de 15 ans de réclusion criminelle.

Une autre évolution considérable en matière de viol est notable. Pendant longtemps, la Cour de cassation a considéré qu’il ne pouvait y avoir de viol entre époux. Selon la Cour de cassation, le mariage imposait un devoir de communauté de vie aux époux qui impliquait une communauté de lit. C’est en partant de ce postulat que le juge pénal estimait que les conjoints avaient donné, pour toute la durée de l’union, consentement aux relations sexuelles. Dans un arrêt du 5 septembre 1990, la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu pour la première fois l’hypothèse du viol entre époux. Par cette évolution prétorienne, un principe clair est posé : le mariage ne doit pas être un frein à la qualification de viol. Cette nouvelle solution a été consacrée par la loi du 04 avril 2006 modifiant l’article 222-22 alinéa 2 du Code Pénal. La loi s’était alors arrêtée à mi-chemin en admettant encore une présomption simple de consentement des conjoints à l’acte sexuel. La loi du 09 juillet 2010 a évincé cette présomption en modifiant de nouveau l’article 222-22 alinéa 2. Le mariage n’a plus d’incidence sur la constitution du viol, ni sur la charge de la preuve des données nécessaires à la qualification des faits. Le législateur contemporain considère même que la relation de mariage est une circonstance aggravante (article 222-24, 11° Code Pénal).

III/ Vers une présomption irréfragable de viol pour les mineurs de treize ans ?

Les contours de l’incrimination du viol sont encore et toujours sujets à débat, notamment au sujet des mineurs. 

La proposition de loi de Annick Billon, sénatrice, adoptée par le Sénat à l’unanimité le 21 janvier 2021, en est un exemple. L’article premier de cette loi prévoit que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ». 

Le sens du texte n’était pas d’abaisser la majorité sexuelle à 13 ans mais de condamner de manière automatique une relation sexuelle d’un majeur avec un mineur de 13 ans et moins. Une sorte d’infraction autonome parallèle au viol.

Finalement, cette disposition de la loi promulguée le 21 avril dernier et publiée au Journal officiel du 22 avril, a été amendée sur ce point. En effet, la question du consentement de l’enfant ne se posera plus en-dessous de l’âge de 15 ans (18 ans dans les affaires d’inceste). Le juge n’aura donc plus à établir l’acte de violence, contrainte, menace ou surprise caractéristique de l’agression sexuelle vue en son sens large (comprenant donc le viol).

Attention, une clause «Roméo et Juliette» a été introduite dans la loi afin que ne soit pas incriminées en ce sens, les relations sexuelles entre un majeur et un mineur de moins de 5 ans maximum d’écart d’âge (une relation entre un majeur de 18 ans et un mineur de 13 ans par exemple).  

Nathan NGWANZA et Lucas LE FAILLER,

Cliniciens du pôle droit pénal de la Clinique Juridique de l’AJSPN et étudiants en master 2 droit et libertés fondamentaux à l’Université Sorbonne Paris Nord.