Cour de cassation 2e ch. civ, 11 février 2021, 19-23.525

 

Le 11 février 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision dans la suite logique de ce à quoi elle nous avait habitué en acceptant la réparation du préjudice subi par l’enfant conçu lors de la survenance du fait générateur de responsabilité (1).

Si pour certains cette décision peut paraitre compréhensible, il en va autrement aux yeux du milieu estudiantin. Ainsi, pour s’interroger sur les motivations de la Cour de cassation, il est nécessaire de rappeler brièvement les faits.

En l’espèce, une personne avait été tuée par une arme blanche, suite à quoi l’auteur des faits avait été reconnu coupable devant la Cour d’assises. La descendante de la victime a obtenu réparation de son préjudice. Ne s’arrêtant pas là, cette dernière demande par représentation à la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) la réparation du préjudice moral de sa fille soit la petite fille de la victime non encore née mais conçue lors de l’incident.

Le fonds de garantie, demandeur au pourvoi, soutenait qu’il n’existait pas de lien de causalité entre le décès de la victime et le préjudice moral dont se prévalait la petite fille née après le décès de son grand-père. Ce que la Cour d’appel refusait d’admettre car, selon elle, il existait bien un préjudice dans la mesure où la petite fille était définitivement privée de la présence de son grand-père. Aussi, la CIVI reprochait à la Cour d’appel d’avoir caractérisé le préjudice d’affection indemnisable, alors que le lien de causalité entre le décès et le dommage moral invoqué par la petite-fille faisait défaut.

C’est en cela que, les juges du Quai de l’horloge se sont prononcés sur la possibilité pour l’enfant seulement conçu au moment du décès de son grand-père de demander réparation du préjudice que lui cause ce décès.

La Haute juridiction civile a admis clairement sans détour cette demande de réparation. À y voir plus clair, le droit de la réparation, au sens de l’article 1240 du Code civil, implique que pour obtenir réparation, la victime doit démontrer le lien de causalité entre le préjudice et le fait générateur, ici le décès. Or dans le cas d’espèce, la Cour de cassation reste silencieuse sur le fameux lien de causalité alors que la question méritait bien d’être posée. C’est pourquoi, afin de comprendre les contours de cette décision, il convient d’analyser les motivations de la Cour de cassation.

  • Trois éléments pourraient justifier les motivations de la Cour

D’abord, il faut souligner que la Cour de cassation a toujours à coeur de garantir l’indemnisation des victimes et les droits des enfants. Ainsi, nous rappelle l’adage latin : « Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur». Une expression latine utilisée en droit afin de permettre à un enfant conçu de bénéficier de l’héritage, c’est-à-dire le considérer comme né lorsque son intérêt l’exige, sous réserve qu’il naisse vivant et viable.

À en croire cet adage, l’on peut affirmer que la Cour de cassation s’est souvenue de celui-ci pour faire rétroagir le préjudice moral de la fille née après la mort de son grand-père. Car pour les juges d’appel et de cassation, il ne fait aucun doute que si l’enfant était né au moment du décès, il aurait été habilité à demander réparation.

Par conséquent, la Cour estime que seule la conception au moment du décès de son grand-père était déterminante pour caractériser le préjudice moral dont se prévalait la petite fille.

Ensuite, la première réponse de la Cour de cassation était forgée par l’article 706-3 du Code de procédure pénale selon lequel « toute personne (…) ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, (…) » (2). C’est ce qui explique cette assertion dans l’attendu de principe de la Cour de cassation « l’enfant qui était conçu au moment du décès de la victime directe de faits présentant le caractère matériel d’une infraction peut demander la réparation du préjudice que lui cause le décès. »

Enfin, depuis 2006, la nomenclature Dintilhac permet de classer et d’opérer une distinction au sein des préjudices, notamment entre ceux subis par les victimes directes et par les victimes par ricochet. Ainsi, il y a une indemnisation du préjudice d’affection des parents proches dès lors que le dommage et le lien de causalité sont établis, ainsi que la preuve d’un préjudice personnel direct et certain (3). Tel est le cas de la petite fille de la personne décédée. Dans ce même ordre d’idée, la petite fille étant dans la ligne directe avec le grand père, elle pourrait bénéficier de l’indemnisation.

Cependant, le lien de parenté reste un élément déterminant pour la réparation du préjudice par ricochet. Mais après avoir établi le lien de parenté entre le grand-père et la petite fille qui est un lien de parenté au 2e degré, la Cour n’a pas vérifié le lien affectif que la petite fille pouvait avoir avec ce dernier. Or au moment des faits, le demandeur était dépourvu de toute personnalité juridique et n’avait donc pu créer aucun lien réel affectif avec la victime directe.

D’où l’innovation des juges en admettant que l’enfant souffrait nécessairement de l’absence définitive de la présence de son grand-père. Tout bien considéré, la Cour de cassation reconnait « un nouveau chef de préjudice, celui de ne pas avoir pu nouer des liens affectifs avec un membre de sa famille » (4). Reste à déterminer jusqu’à quel degré de parenté l’on sera amené à admettre la réparation de ce préjudice.

En outre, il s’avère que la chambre criminelle de la Cour de cassation a aussi jugé en ce sens dans un arrêt du 10 novembre 2020 (5).

La situation dans cet arrêt était semblable mais avec une subtilité en ce que l’enfant conçu au moment du décès réclamait réparation du préjudice moral du fait de la mort de son père. Et pourtant la chambre criminelle avait, comme la deuxième chambre civile, pu identifier le préjudice de l’enfant dû à l’absence définitive de son père qu’il ne connaîtra jamais, toute sa vie

Il faut avouer que l’arrêt de la chambre criminelle de 2020 restait clair. Car les juges avaient caractérisé le préjudice moral de l’enfant ainsi que le lien de causalité entre le décès accidentel et le dommage moral. La motivation résidant ainsi dans le lien de filiation entre le père et le fils peu importe la situation juridique de l’enfant au moment de la survenance du décès. Ce qui fait de lui une victime directe (Cass, crim, 10 novembre 2020) (6). Ce qui n’était pas le cas pour la 2e chambre civile où il s’agissait d’une victime indirecte. En effet, la différence entre ces deux décisions résidait dans l’appréciation que font les juges du préjudice d’affection. Ainsi, dans l’arrêt de la chambre criminelle, les juges s’appuyaient sur le préjudice d’affection classique résultant d’un lien entre le père et son fils, alors que celui de la deuxième chambre civile, sur un préjudice autonome.

La justification de l’arrêt du 11 février 2021 pourrait-elle également faire écho à la règle de degré en droit des successions ? Cela serait moins logique car en droit des successions, le premier degré exclut le second. La motivation ne sera donc pas calquée sur ce raisonnement. Ce qui nous laisse croire que les trois justifications mentionnées plus haut déterminent en grande partie la motivation de la Cour.

 

Primo POUPET,

Co-responsable du pôle droit privé général de la Clinique Juridique de l’AJSPN et étudiant en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord.

 

Notes de l’article

(1) Cass, civ 2e, 14 décembre 2017, 16-26.687 « dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu »

(2) Article 706-3 du code de procédure pénale

(3) Cass, civ 2e, 24 octobre 2019, 18-15.827

(4) CONTE (Henri), « L’enfant à naître et disparition préjudiciable du grand-père », Dalloz actualité, 1 mars 2021

(5) Cass. Crim. 19-87.136 « l’absence de S…Q… auprès de son fils G…sera toujours ressentie douloureusement par l’enfant qui devra se contenter des souvenirs de sa mère et de ceux de ses proches pour connaître son père et construire son identité, et que G… souffrira de l’absence définitive de son père qu’il connaîtra jamais, toute sa vie »

(6) Cass. Crim. 19-87.136